Événements préliminairesModification
Les historiens ont traditionnellement admis que l’événement clé qui a déclenché le conflit à Barcelone était la prise du central téléphonique par la Garde d’assaut du gouvernement républicain. La raison de la prise du bâtiment était la volonté de la CNT de prendre le contrôle des communications gouvernementales. Depuis le début de la guerre, le central était contrôlé par le comité syndical CNT-UGT qui avait collectivisé les compagnies de téléphone dans les zones géographiques qu’il contrôlait, avec une délégation du gouvernement stationnée dans le bâtiment qui contrôlait de manière cruciale les communications téléphoniques catalanes.
Le 2 mai, le ministre de la Marine et de l’Air, Indalecio Prieto, a téléphoné à la Generalitat depuis Valence ; un téléphoniste anarcho-syndicaliste de l’autre côté a répondu qu’à Barcelone il n’y avait pas de gouvernement, seulement un Comité de défense. Le gouvernement était convaincu que les anarchistes enregistraient leurs conversations téléphoniques (ils avaient, bien sûr, les moyens de le faire). Le même jour, il y a eu un appel du président Manuel Azaña à Companys, président de la Generalitat. Pendant la conversation, ils ont été coupés par l’opérateur, qui a déclaré que les lignes devaient être utilisées à des fins plus importantes qu’un simple entretien entre présidents. Depuis quelque temps, les autorités républicaines soupçonnaient les anarcho-syndicalistes de contrôler toutes les conversations téléphoniques officielles, et ce genre d’incidents fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase.
Ce même après-midi du 2 mai, des coups de feu furent échangés entre des membres de l’Estat Català et de la FAI à Barcelone, tuant un membre de cette dernière.
3 maiEdit
Un corps de 200 policiers, commandé par le ministre de l’ordre public du gouvernement de Catalogne, Eusebio Rodríguez Salas, se rendit au central de Telefónica et se présenta au département de la censure situé au deuxième étage, avec l’intention de prendre le contrôle du bâtiment. Les anarchistes y ont vu une provocation, puisque Telefónica était légalement occupée par un comité anarcho-syndicaliste, conformément à un décret de collectivisation de la Generalitat elle-même. Rodríguez Salas, pour sa part, avait l’autorisation du chef des affaires internes du gouvernement régional, Artemi Aiguader i Miró. Les travailleurs anarchistes ont ouvert le feu depuis le palier du deuxième étage du département de la censure. Salas a appelé à l’aide, et une compagnie de la Garde nationale républicaine est arrivée avec deux chefs de patrouilles de contrôle, Dionisio Eroles (chef du commissariat anarchiste) et José Asens (chef des patrouilles de contrôle). Eroles persuade les travailleurs de la CNT de cesser le feu et, bien qu’ils résistent au début, ils rendent leurs armes, non sans avoir tiré à travers les fenêtres pour vider leurs munitions.
Une foule se rassemble sur la Plaça Catalunya : on croit d’abord que les anarchistes ont capturé le chef de la police. Le POUM, le groupe des Amis de Durruti, les bolcheviks-léninistes et les Jeunesses libertaires prennent position, et au bout de quelques heures, tous les partis politiques ont sorti les armes qu’ils avaient cachées et ont commencé à construire des barricades. À partir de cette escarmouche, les batailles ont commencé dans différentes parties de la ville. Plusieurs centaines de barricades ont été construites et les unités de police ont occupé les toits et les tours d’église.
Le PSUC et le gouvernement contrôlaient les secteurs urbains situés à l’est des Ramblas. Les anarchistes dominaient les secteurs ouest et tous les faubourgs. Dans le centre ville, où les sièges des syndicats et des partis politiques (installés dans des immeubles et des hôtels réquisitionnés) étaient relativement proches, des tirs ont commencé, et les voitures circulant ont été mitraillées. Dans le bâtiment de Telefónica, une trêve a été conclue et les communications téléphoniques, essentielles pour les opérations de guerre, n’ont pas été interrompues. La police, installée au premier étage, a même envoyé des bocadillos aux anarchistes, qui occupaient les étages supérieurs. Cependant, depuis les toits, diverses grenades font exploser plusieurs voitures de police. En début de soirée, les dirigeants du POUM ont proposé aux dirigeants anarchistes de Barcelone de former une alliance contre les communistes et le gouvernement. Les dirigeants anarchistes refusèrent immédiatement.
4 maiEdit
Le 4 mai, Barcelone était une ville plongée dans le silence, interrompu seulement par le feu des fusils et des mitrailleuses. Les magasins et les bâtiments étaient couverts de barricades. Des groupes armés anarchistes attaquent les casernes des gardes d’assaut et les bâtiments du gouvernement. Le gouvernement et les milices communistes ont répondu par le feu. La plupart du prolétariat de Barcelone soutenait les anarcho-syndicalistes et les craintes d’une guerre civile à l’intérieur de la guerre civile ont commencé. À onze heures, les délégués de la CNT se sont réunis et ont convenu de faire tout leur possible pour rétablir le calme. Pendant ce temps, les dirigeants anarchistes Joan García Oliver et Federica Montseny lancent un appel à la radio, demandant à leurs partisans de déposer les armes et de retourner à leur travail. Jacinto Toryho, directeur du journal de la CNT Solidaridad Obrera, exprime le même sentiment. Les ministres anarchistes arrivent à Barcelone, et avec eux Mariano Rodríguez Vázquez « Marianet » (secrétaire du comité national de la CNT), Pascual Tomás et Carlos Hernández (du comité exécutif de l’UGT). Aucun d’entre eux ne souhaite une confrontation avec les communistes, et le président Largo Caballero n’a aucune envie d’utiliser la force contre les anarchistes. Federica Montseny a déclaré plus tard que la nouvelle des émeutes l’avait prise, elle et les autres ministres anarchistes, totalement au dépourvu.
Sur le front aragonais, des unités de la 26e division anarchiste (ancienne colonne Durruti), sous le commandement de Gregorio Jover, se sont rassemblées à Barbastro pour marcher sur Barcelone. Cependant, en entendant le message radio de García Oliver, elles restent sur leurs positions. Pendant ce temps, la 28e division (ancienne colonne Ascaso) et la 29e division du POUM, commandées par Rovira, n’annulent pas leur projet de marche sur Madrid jusqu’à ce que le chef de l’aviation républicaine du front d’Aragon, Alfonso Reyes, menace de les bombarder s’ils maintiennent leur plan.
À cinq heures de l’après-midi, plusieurs anarchistes sont tués par la police près de la rue Durruti (actuelle rue Laietana). Le POUM commence à soutenir publiquement la résistance. Dans des fusillades survenues au cours de cette journée, le célèbre libertaire Domingo Ascaso, parent de Francisco Ascaso et président du Conseil régional de défense d’Aragon Joaquín Ascaso, a été tué. La Section bolchevique-léniniste d’Espagne, groupe officiel de la Quatrième Internationale en Espagne, a distribué sur les barricades de Barcelone des tracts intitulés « Longue vie à l’offensive révolutionnaire », qui comprenaient la déclaration suivante :
Longue vie à l’offensive révolutionnaire – Pas de compromis – Désarmement de la Garde nationale républicaine et de la Garde d’assaut réactionnaire – Le timing est crucial – La prochaine fois, il sera trop tard – Grève générale dans toutes les industries qui ne travaillent pas pour l’effort de guerre, jusqu’à la démission du gouvernement réactionnaire – Seul le pouvoir prolétarien peut assurer la victoire militaire – Donner des armes à la classe ouvrière – Vive l’unité d’action CNT-FAI-POUM – Vive le Front révolutionnaire prolétarien – dans les ateliers, les usines, les barricades, etc.. Comités de défense révolutionnaire.
5 maiEdit
À l’intérieur de la Generalitat catalane, Tarradellas, soutenu par Companys, résiste encore à la démission d’Artemi Ayguadé, exigée par les anarchistes. Finalement, une solution est trouvée et Companys obtient une trêve fragile entre les différents groupes. Pour satisfaire les demandes des anarchistes, le gouvernement catalan démissionne et en forme un nouveau sans Ayguadé. Le nouveau gouvernement représenterait les anarchistes, l’ERC, le PSUC et l’Unió de Rabassaires. Mais des fusillades incontrôlables ont encore balayé les rues de Barcelone, causant la mort de ceux qui s’aventuraient à quitter leurs abris. À 9 h 30, la Garde d’assaut a attaqué le siège du syndicat des médecins, sur la place Santa Ana, dans le centre-ville de Barcelone, ainsi que le siège de la FIJL locale. Les anarchistes ont dénoncé la complicité du gouvernement et les intérêts soviétiques dans cette attaque contre la révolution sociale en Catalogne. Le groupe des Amis de Durruti a publié divers tracts, exigeant la libération de Francisco Maroto del Ojo, un anarchiste andalou récemment emprisonné, et demandant aux gens de résister. Dans l’un d’eux, ils déclarent :
Une Junte révolutionnaire a été constituée à Barcelone. Tous les coupables du coup d’état, qui opèrent sous la protection du gouvernement, seront exécutés. Le POUM sera membre de la Junte parce qu’il soutient les travailleurs.
Néanmoins, tant la CNT-FAI que le FIJL ont refusé de prendre part à l’initiative de ce groupe. Vers 17 heures, les auteurs anarchistes Camillo Berneri et Francesco Barbieri sont arrêtés par un groupe de douze gardes, dont six membres de la police locale et les autres du PSUC. Tous deux sont assassinés au cours de leur arrestation. Le climat d’alarme s’aggrave lorsque les destroyers britanniques arrivent au port. Le POUM craint qu’ils ne commencent à bombarder le port. En fait, les Anglais craignent que les anarchistes ne prennent le contrôle de la situation et il est question d’évacuer les sujets étrangers de la ville. Dans la nuit, Federica Montseny, ministre de la Santé et membre important de la CNT, arrive dans le but de servir de médiatrice entre toutes les parties. Le communiste Antonio Sesé, secrétaire général de l’UGT catalane et membre du nouveau conseil provisoire de la Generalitat, est mort dans une fusillade alors qu’il allait recevoir sa nouvelle nomination.
Le même jour, des combats ont lieu à Tarragone et dans d’autres villes côtières. Là aussi, la Garde d’assaut a procédé à l’éviction de la CNT des centraux téléphoniques qu’elle avait occupés. Des actions similaires à Tortosa et Vich se soldent par un bilan final de 30 anarchistes tués à Tarragone et 30 autres à Tortosa. Dans la nuit, Companys et Largo Caballero ont eu une conversation téléphonique au cours de laquelle le président catalan a accepté l’offre d’aide du gouvernement espagnol pour le rétablissement de l’ordre.
6 maiModification
A l’aube, la CNT a de nouveau demandé aux ouvriers de reprendre leur travail, en vain, mais plus par peur que par obstination. Dans l’après-midi, cependant, les combats ont repris. Plusieurs membres de la Garde nationale républicaine sont morts dans un cinéma après un bombardement d’un canon d’artillerie de 75 mm, transporté depuis la côte par quelques membres de la Jeunesse libertaire.
Une force d’environ 5 000 hommes, pour la plupart des gardes d’assaut, part de Madrid et de Valence vers la capitale catalane. Deux destroyers républicains et le cuirassé Jaime Ier venant de Valence ont atteint le port de Barcelone dans la nuit. Lorsque la nouvelle parvient à la ville, la plupart des ouvriers en grève cessent leur résistance. A Tarragone, des milices de l’Estat Català, de l’ERC et du PSUC attaquent le siège local du FIJL, l’occupant après de lourds affrontements.
7 maiEdit
A 8h20, l’expédition des gardes d’assaut atteint Barcelone, occupant différents points de la ville. Certains étaient venus par la route de Valence, après avoir dominé les révoltes de Tarragone et de Reus. Les anarchistes locaux avaient fait sauter des ponts, des routes et des voies ferrées pour empêcher le passage de la colonne. Ce jour-là, la CNT appelle à nouveau à la reprise du travail, en proclamant à la radio : A bas les barricades ! Chaque citoyen prend son pavé ! Revenons à la normalité ! Les corps expéditionnaires qui entrent dans Barcelone sont sous le commandement du lieutenant-colonel Emilio Torres, qui bénéficie d’une certaine sympathie de la part des anarchistes et dont la CNT propose la mission de promouvoir le retour à la normalité. Les gardes d’assaut de Barcelone, Tarragone et de nombreuses autres villes procédèrent au désarmement et à l’arrestation de nombreux membres de la CNT, de la FAI, des Jeunesses libertaires et du POUM qui avaient pris part aux émeutes.
8 maiEdit
Les rues revinrent à la normale avec quelques incidents isolés et le nettoyage des barricades commença. L’agitation à Barcelone était enfin terminée. La presse contemporaine estime le bilan à 500 morts et 1 000 blessés. Les Journées de Mai ont donné lieu à des actions secondaires dans de nombreuses villes, principalement dans les provinces de Barcelone et de Tarragone. Là aussi, la lutte fut forte, mais elle se termina par la défaite des anarchistes et des trotskistes.