Le nouveau saxophone d’Adolphe Sax avait une perce avec un cône parabolique et un bec avec une anche simple qui, en la rendant plus petite, venait d’être adaptée au corps de l’instrument. Cependant, il ne s’est pas contenté d’inventer le saxophone et ne s’est pas limité à un seul instrument. Il s’est toujours intéressé au développement d’une famille plus large, généralement de six à sept membres. Son but est de couvrir le plus grand nombre de registres et de favoriser l’incorporation de ses instruments au sein des orchestres. En 1843, il a déposé des brevets pour une collection de six cors à pistons – mieux connus sous le nom de saxhorns -, tandis qu’en 1845, il a breveté sept modèles pour une classe d’instruments connus sous le nom de saxtrombas. Il dépose ensuite, en 1846, une demande de brevet pour une gamme complète de saxophones comprenant huit membres, puis, en 1849, la famille des saxtubas. Au total, Adolphe Sax a breveté 46 inventions.
Adolphe Sax à Paris
À l’automne 1842, Adolphe Sax s’installe rue Neuve-Saint-Georges, à Paris, dans un petit atelier qui a compté jusqu’à 191 ouvriers en 1848, et qui a produit quelque 20 000 instruments durant la période de 1843 à 1860. Il fait très vite la connaissance d’Hector Berlioz, qui ne ménage pas ses efforts pour soutenir et louer les nouvelles idées instrumentales de Sax.
Berlioz, en tant que critique musical du Journal des débats, annonce l’arrivée de Sax en lui consacrant un article entier, le 12 juin 1842, dans lequel il écrit :
« C’est un homme d’esprit pénétrant ; lucide, tenace, d’une persévérance à toute épreuve, et d’une habileté exceptionnelle… Il est à la fois calculateur, acousticien, et selon les besoins, fondeur, tourneur et graveur. Il sait penser et agir ; il invente et il accomplit. »
On peut légitimement se demander pourquoi Adolphe Sax a attendu si longtemps pour déposer le brevet français de sa nouvelle famille de saxophones. En effet, ce brevet est le fruit d’un travail de plusieurs années durant lesquelles il a participé à la conception de différents instruments, systèmes et adaptations applicables au clairon : par exemple, la soupape rotative.
Cette famille initiale de huit saxophones établie par Adolphe Sax sera recentrée sur sept saxophones par Georges Kastner, dans son « Manuel général de musique militaire à l’usage des armées françaises », publié en 1848. Au bas de la planche XXV de son ouvrage, l’auteur précise la nomenclature de la famille des saxophones :
« Il existe toute une famille : le Saxophone sopranino en fa ou en mib, le Saxophone soprano en ut ou en sib, le Saxophone alto en mib. Le Saxophone alto-ténor en sib. Le Saxophone ténor-baryton en Mib. Le Saxophone basse en ut ou en si bémol, le Saxophone contrebasse en fa ou en mib. »
Bien que présent en théorie dans le dépôt de brevet de Sax et initialement envisagé par Ravel pour son Boléro, le Sopranino en fa n’a jamais été réalisé. Sa partie est traditionnellement assurée par le soprano en si bémol. Si les saxophones en clé de do ou de fa semblaient initialement plus adaptés à une utilisation dans les orchestres symphoniques, l’échec de cette incorporation a conduit à l’abandon de ces modèles.
Aujourd’hui, la famille des saxophones est toujours composée de sept membres et reste très proche de celle que Kastner a décrite :
- E♭ sopranino,
- B♭ soprano,
- E♭ alto,
- B♭ ténor,
- E♭ baryton
- B♭ basse,
- E♭ contrebasse.
Le saxophone au Conservatoire de Paris
Une classe de saxophone a été créée au Conservatoire de Paris en 1857 et tout naturellement c’est Adolphe Sax qui en a été placé responsable. Sax était chargé de former environ 130 saxophonistes aux différents instruments du quatuor. Il fut néanmoins vexé de voir que les compositeurs s’en tenaient principalement à l’exploration des timbres de son saxophone alto.
Cela ne l’empêcha pas de poursuivre ses recherches et de déposer un second brevet sur le saxophone (n° 70894 du 19 mars 1866), dans lequel il précisait :
« Un premier perfectionnement consiste à allonger l’instrument sans abaisser son registre, c’est-à-dire en conservant le même degré entre les notes existantes. Cette nouvelle disposition me donne une plus grande portée avec le registre grave et permet une augmentation de la largeur des harmoniques de l’octave, et en même temps, y ajoute une partie des harmoniques de la douzième, c’est-à-dire, en donnant au saxophone l’étendue de la clarinette et une part des ressources particulières à cet instrument, sans lui enlever aucune de ses richesses et sans changer son doigté. »
« Une seconde amélioration consiste dans une modification de la disposition du mécanisme du saxophone ; en particulier, de la partie actionnée par la main gauche. Cette modification, tout en rendant le doigté plus facile et plus régulier, a pour résultat principal de simplifier l’exécution et de créer un son de meilleure qualité avec une plus grande précision… »
Les premiers saxophones d’Adolphe Sax étaient fabriqués en laiton. Leur doigté empruntait autant à la flûte qu’à la clarinette, toutes deux utilisant, à partir de ce moment, le nouveau mécanisme de Théobald Boehm. Sax se concentre sur le clétage, en mettant l’accent sur l’ergonomie et l’amélioration de l’équilibre de l’accord. Il continue à essayer d’améliorer la perce de ses instruments ; si la première perce du saxophone avait la forme d’un cône parabolique, il a également essayé des cônes droits et concaves. La perce parabolique prévaut encore aujourd’hui.
Améliorations notables après 1870
Après la guerre en 1870, le Conservatoire de Paris suspend malheureusement la classe de saxophone. Mais cela ne décourage pas Adolphe Sax, qui ne cesse d’améliorer ses saxophones, de prendre un troisième brevet le 27 novembre 1880.
Extraits du brevet n° 139 884, du 27 novembre 1880 :
« No 1 le saxophone alto en E♭, tonalité la plus favorable à la musique militaire, et la plus employée, représentant la partie d’alto dans le quatuor, se trouve trop court d’un ton pour atteindre la limite la plus éloignée du registre grave du violon. J’ai allongé le tube de manière à gagner deux demi-tons, c’est-à-dire B♭ et A, ce qui représente, en ce qui concerne le diapason de concert, D♭ et C. » « No 2 En étendant de la même manière une opération analogue au registre aigu, j’ai placé deux nouvelles touches pour obtenir le fa# et le sol aigu, le fa# étant pris par la main droite et le sol par la main gauche. On pourrait avec le reste, si on le préfère, employer d’autres combinaisons. »
Sax précise ainsi juste après que :
« pour faciliter le soufflage des notes aiguës, j’ai employé une touche de quatrième octave qui n’est pas utilisée par le pouce, mais qui est bien placée de manière à être mise en jeu par les touches elles-mêmes. Cette même opération peut être utilisée pour toutes les touches de notes aiguës. »
Les premiers fabricants
À la mort d’Adolphe Sax, le 7 février 1894, son fils Adolphe-Édouard (1859-1945), chef de fanfare à l’Opéra de Paris depuis 1888, prend sa place à la tête de la fabrication chez Sax. Par la suite, le saxophone souffre d’un manque d’exécution populaire, car il est principalement confiné à une utilisation dans la musique militaire. À la fin de la Première Guerre mondiale, les fabricants français d’instruments à vent ont perdu près des deux tiers de leur main-d’œuvre spécialisée. Les États-Unis, souffrant d’une pénurie d’instruments français à cette période, commencent à développer leur propre production nationale d’instruments.
En 1921, trente-six ans après sa création (1885), Selmer Paris se lance dans la fabrication de saxophones. En adoptant le principe des trous de timbre étirés et en ne les soudant plus sur le corps des instruments, Selmer révolutionne la fabrication du saxophone. Ce procédé, déjà utilisé aux Etats-Unis pour la flûte, permet un gain de temps considérable lors de la fabrication. La fiabilité, l’esthétique et la légèreté de l’instrument sont également améliorées. Selmer se lance à la conquête du marché américain, au moment où la naissance du jazz et un nouvel art de vivre contribuent à l’engouement pour le saxophone.
En 1929, Selmer Paris réalise l’acquisition historique des ateliers Sax, devenant ainsi le légataire universel de l’invention du saxophone et de l’esprit Sax.