La même année où la mondaine française Madame Récamier se rend à Plombiéres pour sa santé, Marie-Fortunée Capelle, qui deviendra Madame Marie Lafarge, naît en 1816 en Picardie, France. Son père était un officier d’artillerie et sa grand-mère était, selon la rumeur, l’enfant de l’amour illicite de Stéphanie Félicité, mieux connue sous le nom de Madame de Genlis, et de Louis Philippe II, duc d’Orléans. Si cela était vrai, cela faisait de Marie une descendante de Louis XIII de France. Pourtant, malgré ses titres de noblesse, Marie était décrite comme « peu douée de beauté ».
Madame Marie Lafarge. Courtoisie de la Bibliothèque nationale de France.
Si Marie n’était pas jolie, Charles Pouch-Lafarge était pire. Il était décrit comme un homme grossier et repoussant de 28 ans. Il n’avait pas non plus beaucoup de chance dans la vie. Il s’était marié et sa femme était morte peu après. De plus, son père a acheté une propriété dans le hameau du Glandier en Corrèze et celle-ci est tombée en ruine. Pour la rentabiliser, Lafarge en transforme une partie en fonderie, ce qui l’endette massivement et le met au bord de la faillite. Pour cette raison, Lafarge a décidé de trouver une femme qui pourrait l’aider financièrement, et pour accomplir cela, il a embauché un courtier en mariage, un homme du nom de Monsieur Foy.
Marie, semblable à Lafarge, avait également de la malchance. Son père est décédé alors qu’elle avait douze ans et sa mère est morte quelques années plus tard. Ainsi, elle se retrouve à dix-huit ans fille adoptive de sa tante maternelle et sous la tutelle de cette dernière. Même si cette dernière l’envoie dans les meilleures écoles, elle est toujours consciente qu’elle n’est rien de plus qu’une parente « pauvre ». Cela la rendait envieuse lorsque ses camarades de classe se fiancaient à de riches nobles. De plus, Marie rêvait d’épouser quelque riche aristocrate aisé, mais comme elle n’avait pas son mot à dire sur le choix de son époux et que sa dot – 80 000 francs – bien que considérable, n’était pas si impressionnante compte tenu du statut de sa famille, il était très peu probable qu’elle acquière le type de mari qu’elle désirait ardemment.
À vingt-trois ans, Marie n’était toujours pas mariée et, pour ne rien arranger, aucun prétendant ne se profilait à l’horizon. Son oncle s’était lassé de l’entretenir, il voulait se décharger du fardeau financier et s’attachait à lui trouver un mari. À l’insu de Marie, son oncle a engagé un courtier en mariage, le même courtier – Monsieur Foy – qui avait été engagé par Lafarge pour lui trouver une épouse.
Lafarge s’était présenté comme un riche maître de fer. Il affirmait également qu’il possédait des biens d’une valeur de plus de 200 000 francs et qu’il tirait un revenu annuel de 30 000 francs de sa seule fonderie. Monsieur Foy pense que Lafarge serait le compagnon idéal pour Marie. Cependant, afin de garder Monsieur Foy secret, l’oncle de Marie organise une rencontre fortuite entre Lafarge et sa nièce.
La rencontre a lieu le 6 août 1839, alors que les deux hommes assistent à l’opéra. Marie n’est pas impressionnée par Lafarge et le trouve repoussant. Cependant, son oncle la tente en lui parlant de la propriété somptueuse de Lafarge et de ses prétentions à bien gagner sa vie. Après avoir écouté pendant plusieurs jours les louanges de son oncle sur Lafarge, Marie accepte de l’épouser dans le cadre d’une « transaction purement commerciale ». Ils se marient quatre jours plus tard : « Le 15 août 1839, les jeunes mariés quittent Paris pour Glandier, mais avant d’atteindre Glandier, la nouvelle mariée est dégoûtée par la brutalité de son mari. Elle se décrivit plus tard comme « totalement ignorante des devoirs féminins et des relations conjugales », une affirmation qui, selon un journal, était « peu crédible lorsqu’elle s’appliquait à une femme française âgée de 23 ans ». On suppose qu’à cause de sa brutalité, une scène douloureuse s’est déroulée entre les jeunes mariés. Elle refusa de partager le lit de son mari à l’hôtel d’Orléans, et « elle devint hystérique, et s’enferma dans son propre appartement. »
Glandier. Courtesy de la Bibliothèque nationale de France.
Heureusement, les jeunes mariés s’arrangèrent, et juste avant d’arriver à Glandier, ils se réconcilièrent. Il semblait qu’une vie conjugale heureuse en serait l’aboutissement. Mais leur bonheur ne dure pas longtemps. Arrivée au manoir de Lafarge, Madame Marie Lafarge « vit qu’elle et ses proches avaient été grossièrement trompés sur la fortune de son mari ». Au lieu d’une propriété luxueuse, elle trouve un manoir en ruine, infesté de rats, et au lieu de la richesse, elle trouve son mari confronté à des dettes considérables. De plus, sa belle-famille n’était pas plus agréable que son mari.
Marie fut prise d’une dépression et s’enferma dans sa chambre. La première nuit, elle écrivit une lettre à son mari, le suppliant de la libérer du mariage et le menaçant de mettre fin à sa vie avec de l’arsenic s’il ne le faisait pas. Malheureusement, il n’est pas disposé à la libérer de ses vœux. Marie ne peut donc rien faire d’autre que de se réconcilier avec son sort, et c’est ainsi qu’elle « se consacre à assurer le bien-être de son mari » en écrivant des lettres à ses riches amis. Dans ses lettres, elle les informe que son mari a mis au point une nouvelle méthode de fonte du fer et les implore de l’aider financièrement.
Avec les lettres de Marie en main, Lafarge retourne à Paris en décembre 1839. Il espère gagner des investisseurs et prend également des dispositions pour faire breveter son idée de fonte du fer. Pendant l’absence de Lafarge, Madame Marie Lafarge fait dessiner son portrait et est déterminée à le lui envoyer pendant son absence. Lorsqu’elle a emballé son portrait, elle a également inclus une lettre et cinq petits gâteaux faits de ses mains aimantes. Des témoins l’ont vue emballer le colis et le sceller. Cependant, lorsque le colis est arrivé à Paris, il n’était pas scellé et, en plus du portrait et de la lettre, il y avait un grand gâteau au lieu de cinq petits.
Alors qu’il était à Paris, Lafarge a obtenu 25 000 francs des parents de Marie, et lorsqu’il a reçu le colis, il était ravi, « a mangé du gâteau, et peu de temps après il est tombé excessivement malade, et a été obligé de retourner chez lui. » Lafarge arrive à Glandier le 5 janvier 1840. Lorsqu’il arrive chez lui, il n’a plus que 3 900 francs et on ne sait pas ce qu’il est advenu du reste de l’argent. Lafarge a ensuite souffert pendant plus d’une semaine et est mort le 14 janvier en laissant tout à sa pauvre veuve.
À la mi-janvier 1840, alors que Madame Marie Lafarge était sur le point d’hériter de toute la richesse de Lafarge, elle a été arrêtée par la police pour une accusation étonnante : La police prétend qu’elle a empoisonné son mari. De plus, la méthode qu’elle a employée pour le tuer aurait été « en lui administrant de l’arsenic pendant sa maladie ». Avec une accusation de meurtre portée contre la veuve Lafarge, une perquisition de la maison de Marie a été effectuée, ce qui a entraîné à son tour d’autres accusations contre elle.
Il semble que des années auparavant, une amie de Madame Marie Lafarge, la viscomtesse de Léotand, avait été victime d’un vol de bijoux. A l’époque, les soupçons se sont portés sur Marie, mais comme la viscomtesse et Marie étaient amies, la viscomtesse pensait qu’il était improbable qu’elle ait volé les bijoux, et, ainsi, la police n’a pas poursuivi l’affaire. Tout change lorsque les diamants manquants de la viscomtesse sont retrouvés en possession de la veuve Lafarge, ce qui entraîne l’ajout d’une accusation de vol à celle de meurtre.
Le procès de la veuve Lafarge n’a pas lieu avant six mois, et c’est le 9 juillet qu’elle est amenée devant la barre. L’accusation de vol fut facilement prouvée, car il y avait des preuves accablantes qu’elle avait volé les bijoux de la viscomtesse. Le 3 septembre, alors que son verdict de culpabilité pour vol est en appel, la veuve Lafarge est traduite en justice pour le meurtre de son mari. Cette procédure est « sans équivalent dans les annales de la jurisprudence », car pour la première fois, les preuves toxicologiques médico-légales seront déterminantes pour obtenir une condamnation.
Madame Marie Lafarge en prison. Courtesy of Bibliothèque nationale de France.
Le procureur de la République voulait « condamner l’accusé », et le juge, en utilisant des copies d’interrogatoires précédents, a également tenté de piéger la veuve Lafarge pour qu’elle fasse des déclarations contradictoires. De plus, les preuves de l’accusation ont montré que la maladie de Lafarge a commencé après qu’il ait mangé le gâteau et qu’un grand gâteau est arrivé au lieu de cinq petits. De plus, l’accusation a allégué que c’est la veuve Lafarge qui a emballé et envoyé le « gâteau médicamenteux », pourtant elle n’était pas la seule à être soupçonnée du meurtre de Lafarge.
Madame Marie Lafarge avait un commis principal nommé Denis Barbier, et « certaines circonstances ont jeté le soupçon sur en relation avec le crime. » Il avait prétendu devoir se rendre à Guéret, mais il a ensuite effectué une visite clandestine à Paris après l’envoi du colis de la veuve. Barbier aurait également été présent lorsque Madame Marie Lafarge a reçu le colis. Ainsi, la défense de la veuve prétendait que Barbier était le coupable et qu’il avait tout à fait l’occasion d’échanger les cinq gâteaux contre un seul empoisonné.
En fin de compte, il s’agissait de savoir si la veuve Lafarge avait ou non de l’arsenic en sa possession ou aurait pu en acheter. On a rapidement déterminé que son premier achat d’arsenic a eu lieu en décembre auprès d’un droguiste à qui elle avait écrit « en déclarant qu’elle en avait besoin pour détruire les rats. » L’achat suivant d’arsenic a eu lieu le 5 janvier, après le retour de son mari malade. Elle se l’est également procuré auprès du même droguiste en invoquant un but similaire. Enfin, Barbier prétend qu’elle lui a demandé de faire plusieurs achats d’arsenic et « l’a supplié de n’en rien dire »
Madame Maire Lafarge. Collection de l’auteur.
Après que Madame Marie Lafarge soit rentrée de Paris, la mère de son mari a découvert que Marie avait demandé à Barbier d’acheter de l’arsenic. Cela l’a rendue méfiante et elle a fait part de ses soupçons à son fils. Ils commencent également à surveiller Marie de près. Un soir, Lafarge demande un bouillon de poulet. Sa sœur lui en prépare et le laisse sur la cheminée. Une amie de la famille, mademoiselle Le Brun, témoignera plus tard qu’elle a vu Marie « tendre la main vers le bol et y mettre une poudre blanche, en remuant le liquide avec son doigt ». Il a été démontré par la suite qu’un sédiment trouvé dans le bol contenait de l’arsenic. »
Le bol avec les restes d’arsenic n’était pas la seule preuve impliquant Marie. Il y avait également de nombreuses preuves que l’arsenic se trouvait en grande quantité dans tout le manoir. Par exemple, le jour même de l’incident avec le bouillon de poulet, Le Brun a affirmé avoir vu Marie prendre un verre de vin, sortir quelque chose d’un tiroir et le mélanger au vin avec une cuillère. De plus, lorsque la poudre contenue dans le tiroir a été vérifiée, un chimiste a déclaré qu’il s’agissait d’arsenic.
Après la mort de Lafarge, un examen post-mortem a été immédiatement effectué avec le rapport suivant:
« n 16 janvier, les viscères ont été retirés placés dans des vases, descellés, et envoyés aux chimistes de Brives. Aucune précaution n’a été prise pour empêcher l’altération de ces organes. (…) Les chimistes de Brives déclarèrent avoir trouvé de l’arsenic dans l’estomac, et aussi dans un tissu de flanelle que madame Lafarge, avait voulu appliquer sur la gorge de la défunte. »
Cependant, une autre analyse fut complétée par les chimistes de Limoges. Leurs résultats s’avèrent contraires et ils déclarent « positivement que les examens les plus minutieux, y compris le procédé de Marsh, n’ont pas permis de découvrir la moindre trace d’arsenic. »
Pendant le procès, en raison des conclusions contradictoires, le tribunal ordonne l’exhumation du corps de Lafarge. Cette fois, Mathieu Joseph Bonaventure Orfila, toxicologue français et célèbre physiologiste, l’examine. Il déclare avoir trouvé de l’arsenic dans l’estomac de Lafarge et son contenu, mais pas dans ses tissus. Cette déclaration remarquable semblait prouver que « l’arsenic avait été appliqué sur les viscères et l’intérieur du corps… quelqu’un avait saupoudré de l’arsenic sur l’estomac… et dans la cavité de l’abdomen, après la mort de Lafarge. »
Mathieur Joseph Bonaventure Orfila. Courtesy of Wikipedia.
Le procès de la veuve Lafarge fut long et dura seize jours. « Le jury a rendu un verdict contre Madame Lafarge, la déclarant « coupable, avec circonstances atténuantes », et elle a été condamnée à la prison à vie, avec travaux forcés, et exposition au pilori. » En raison des irrégularités du procès, un appel est interjeté en sa faveur, mais il « est rejeté le 18 décembre, et la sentence est finalement confirmée le 30 août 1841, soit près d’un an après l’ouverture du procès. » Madame Marie Lafarge est alors emprisonnée et le restera pendant douze ans, jusqu’à ce que sa « santé cède, et, en considération de sa débilité, elle est libérée en 1852, … ne survit que quelques mois. »
Madame Marie Lafarge au tribunal. Collection de l’auteur.
Etait-elle coupable ? Un examen approfondi a été mené par l’Edinburgh Review en 1842. L’écrivain a accusé Barbier d’être le meurtrier en partie parce qu’il n’avait pas le meilleur caractère : Barbier aurait « vécu de faux, et aurait été le complice de Lafarge dans des opérations très louches, par lesquelles ce malheureux cherchait à couvrir son insolvabilité ». Barbier avait conçu une haine violente contre Madame Lafarge, car sa présence était susceptible de gêner ses pratiques infâmes, et surtout d’affaiblir son emprise sur son compagnon de crime ». En outre, il a été noté que Barbier avait un accès illimité au manoir, au bouillon de poulet, au verre à vin, au tiroir, et même au cadavre et à l’estomac de Lafarge, ce qui lui aurait permis d’introduire de l’arsenic dans n’importe lequel de ces endroits.
L’article concluait :
« Lafarge est mort ; sa femme a été accusée de meurtre et condamnée ; le vol des 20 000 francs n’a jamais été mis à la charge de , et il a réussi à accomplir le double événement de se débarrasser de son complice et d’assouvir son désir de vengeance sur Mme Lafarge. si Denis a commis ce crime immonde, il s’est échappé sans autre châtiment que celui qu’infléchirait une conscience outragée. »
- « The Story of Madame Lafarge the Poisoner », in Aberdeen Journal, 21 août 1889, p. 5.
- « The Strange Story of Madame Lafarge, » in Dundee Evening Telegraph, 30 décembre 1897, p. 3.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- Ibid.
- « The Story of Madame Lafarge the Poisoner », p. 5.
- Wigmore, John Henry, Les principes de la preuve judiciaire, volume 1, 1913, p. 129.
- « L’histoire de Madame Lafarge l’empoisonneuse, » p. 5.
- Ibid.
- « L’étrange histoire de Madame Lafarge, » p. 3.
- Ibid.
- The Eclectic Magazine, Vol. 67, 1898, p. 686.
- « The Strange Story of Madame Lafarge », p. 3.
- Ibid.
- Ibid.
- The Cornhill Magazine, 1898, p. 103.