MONTESQUIEU, CHARLES-LOUIS DE SECONDAT DE (1689-1755), juge parlementaire, historien et philosophe politique. Montesquieu est né le 18 janvier 1689 à La Brède, près de Bordeaux. Il reçoit sa première éducation chez un maître d’école local ; en 1700, il est envoyé dans une institution oratorienne près de Paris où l’on met l’accent sur les classiques. Entre 1705 et 1708, il étudie le droit à l’Université de Bordeaux, obtient une licence en droit et devient avocat au Parlement de Bordeaux. De 1709 à 1713, il réside à Paris, assistant aux réunions de l’Académie des sciences et de l’Académie des inscriptions, compilant des cahiers sur le droit romain, et se familiarisant avec des sommités comme Bernard le Bovier de Fontenelle et Nicolas Fréret.
Après la mort de son père en 1713, il retourne à La Brède pour prendre en charge les domaines familiaux. En 1715, il épouse Jeanne de Lartigue, une riche huguenote d’un village voisin qui lui donne un fils et deux filles et gère habilement ses domaines lors de ses nombreux voyages à Paris. En 1716, il hérite de son oncle la charge de président à mortier au Parlement de Bordeaux. Pendant dix ans, il siège à la Chambre de la Tournelle, la section criminelle de ce tribunal régional, avant de vendre sa charge en 1726 pour se procurer plus de temps pour ses activités littéraires et philosophiques.
Premiers écrits et voyages
Dès son jeune âge, Montesquieu manifeste les intérêts d’un polymathe. Outre de nombreux articles scientifiques de jeunesse, ses premiers écrits comprennent des essais sur la politique et la philosophie de Cicéron, sur le problème de la dette nationale française, sur les usages politiques de la religion dans la Rome antique, sur les obligations de la citoyenneté et de la moralité, sur le déclin de la richesse espagnole et sur les rôles respectifs du hasard et du déterminisme dans le déroulement de l’histoire. Sa première œuvre publiée, Lettres persanes (1721), est une brillante excursion dans la politique comparée, juxtaposant les lois et les coutumes des sociétés islamiques et chrétiennes. Considérée par beaucoup comme le point d’origine des Lumières françaises, cette œuvre précoce présentait des portraits satiriques des mœurs, des coutumes et de la religion françaises et persanes au milieu d’observations philosophiques significatives sur des sujets aussi divers que la justice, le divorce, l’esclavage, le despotisme, la punition, la démographie, la liberté anglaise, la liberté religieuse et les principes de gouvernement.
En 1728, Montesquieu s’est embarqué dans un long tour d’Europe et d’Angleterre. Avant son départ, il était favorablement disposé à l’égard des républiques. Après avoir réagi négativement aux républiques aristocratiques d’Italie et de Hollande, cependant, et après avoir observé la politique anglaise pendant dix-huit mois, il est retourné en France en 1731 avec une appréciation renouvelée de la possibilité de réaliser la liberté dans des monarchies correctement structurées, qu’elles soient basées sur une combinaison d’éléments monarchiques et républicains, comme dans le système anglais, ou, comme en France, construites sur des composantes féodales et avec des corps intermédiaires et corporatifs dont la présence modère l’absolutisme.
HISTOIRE ROMAINE
En 1734, Montesquieu publie un exposé philosophique des causes de la grandeur et du déclin romains, remplaçant l’explication providentielle de Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) d’une concaténation ordonnée d’événements par une philosophie séculaire de l’histoire mettant l’accent sur des causes générales sous-jacentes produisant des modèles prévisibles. Montesquieu critiquait les Romains pour avoir utilisé une combinaison de force et de fraude pour atteindre leurs objectifs, et son compte rendu de Rome peut être lu comme une attaque contre les tactiques machiavéliques dans les contextes nationaux et internationaux – préparant ainsi le terrain pour sa déclaration ultérieure dans le livre XXI, chapitre 20 de De l’esprit des lois (1748) selon laquelle le machiavélisme était en déclin, puisque les coups audacieux de l’autorité politique interfèrent avec les intérêts économiques sur lesquels le pouvoir est basé. Bien qu’il n’ait pas trouvé l’histoire romaine dans l’ensemble un spectacle édifiant, Montesquieu en a tiré de nombreuses leçons, notamment l’importance de l’équilibre des pouvoirs, les contributions des conflits de partis à la liberté politique, les avantages du renforcement du patriotisme par le sentiment religieux, et le lien entre la démocratie et les petites républiques qui évitent la conquête impériale.
L’ESPRIT DES LOIS
La réputation de Montesquieu s’articule plus substantiellement sur L’Esprit des lois. Comme l’ont souligné Émile Durkheim et Raymond Aron, le point de vue de Montesquieu a contribué à l’émergence d’une perspective de sciences sociales explorant l’interconnexion entre toutes les variables complexes qui façonnent les lois, les coutumes, la religion, les manières et les mentalités. S’il n’a nullement écarté la perspective du droit naturel, qui mettait l’accent sur un univers ordonné, soumis à des lois incarnant des normes transcendantes de justice, Montesquieu a néanmoins introduit des perspectives sociologiques dans l’étude des lois positives. Son insistance sur l’influence sur le développement humain des lois, des coutumes, de la religion, de l’éducation, des maximes de gouvernement et des modes de subsistance, combinée à son intérêt pour des influences physiques telles que le climat et la topographie, a inauguré une nouvelle époque dans l’étude de la société à partir de perspectives anthropologiques et climatologiques et a influencé de nombreux théoriciens ultérieurs.
L’Esprit des lois a également contribué aux disputes récurrentes concernant l’ancienne constitution de la France. Pendant des siècles, les théoriciens ont débattu de la lignée historique des composantes respectives de la constitution française, avec la légitimité de l’absolutisme dans la balance. La question clé était de savoir si la première monarchie franque avait été absolue – ayant hérité pacifiquement de l’Empire romain – ou si, à la suite d’une première conquête franque de la Gaule, les rois francs, à commencer par Clovis, avaient été élus par des nobles, qui surveillaient de près l’exercice des pouvoirs monarchiques. François Hotman a soutenu dans sa Franco-gallia (1573) que la monarchie française avait toujours été élective et limitée par une aristocratie puissante. De nombreux théoriciens absolutistes du même siècle, dont Jean Ferrault, Charles Du Moulin et Charles de Grassaille, soutenaient cependant que les parlements et les États généraux de France représentaient des contraintes illégitimes pour une monarchie originellement absolutiste.
Montesquieu soutenait la thèse nobiliaire germanique plutôt que la thèse royaliste romaine concernant les origines de la monarchie française. Cependant, contrairement à Hotman et à d’autres partisans d’une renaissance des États généraux, il pensait que le Parlement de Paris fonctionnait comme la bride clé de l’absolutisme grâce à son droit d’enregistrer les édits du roi avant qu’ils ne deviennent des lois. Ses arguments dans L’Esprit des lois ont fourni un soutien aux parlementaires au cours de leurs nombreux affrontements avec Louis XV (gouverné de 1715 à 1774) et Louis XVI (gouverné de 1774 à 1793) dans les décennies précédant la Révolution française – jusqu’à ce que les parlements et la couronne soient éteints au cours d’une période d’intense ferveur républicaine.
L’HÉRITAGE DE MONTESQUIEU
L’Esprit des lois était le traité politique le plus autorisé de son époque. Montesquieu a modifié le langage de la politique en remplaçant l’ancienne classification politique distinguant les gouvernements d’un seul, de quelques-uns et de plusieurs par une nouvelle typologie opposant les formes modérées et despotiques de gouvernement et identifiant les républiques, les monarchies et les despotismes comme les principaux types. En outre, son choix de la vertu politique (définie comme l’attachement patriotique et désintéressé aux besoins de son pays) comme principe du gouvernement républicain a eu des répercussions sur les développements politiques américains et français de la fin du XVIIIe siècle. En Amérique, la « vertu » a été exaltée par presque tous les patriotes qui s’opposaient à une monarchie qu’ils considéraient comme corrompue, tandis qu’en France, Maximilien Robespierre a adopté le langage de la vertu de Montesquieu uniquement pour l’avilir en liant l’abnégation patriotique à la terreur, affirmant que les deux sont nécessaires pour forger une république en période révolutionnaire.
Montesquieu a accordé une attention prodigue aux républiques dans sa typologie gouvernementale, mais il n’était pas républicain par conviction – et certainement pas démocrate. Il avait une piètre opinion des capacités politiques des masses. En outre, il considérait que la démocratie ne convenait qu’aux très petites cités-États de l’Antiquité classique. Comme James Madison en Amérique, il avait une opinion négative des États non démocratiques de l’Antiquité grecque, dont la tendance à produire des luttes de factions ingérables avait souvent conduit à l’avènement de dictateurs capables de réprimer les troubles. Seules les constitutions monarchiques, conclut Montesquieu, étaient bien adaptées à la gouvernance des grands États du monde moderne.
L’Esprit des lois a contribué de manière significative à l’héritage humanitaire des Lumières puisque Montesquieu a employé une satire dévastatrice pour ridiculiser des maux tels que l’esclavage, les punitions disproportionnées, l’intolérance religieuse et le despotisme. Par-dessus tout, on se souvient de Montesquieu comme d’un défenseur de la liberté politique et civile. Selon lui, la division des pouvoirs gouvernementaux entre les autorités exécutives, législatives et judiciaires est essentielle pour garantir qu’aucun individu ou groupe ne monopolise le pouvoir. Un autre élément central de la réalisation de la liberté est la présence d’un pouvoir judiciaire indépendant qui applique un code pénal ne punissant que les délits qui menacent de causer un préjudice réel à autrui.
Montesquieu est resté un héros pour les partisans de la monarchie constitutionnelle pendant les premières phases de la Révolution française, mais il a perdu la faveur des éléments radicaux qui se sont tournés vers Jean-Jacques Rousseau pour s’inspirer. La description du gouvernement anglais dans le livre XI, chapitre 6 de L’esprit des lois comme une constitution mixte combinant des éléments monarchiques, aristocratiques et démocratiques est devenue le point de vue classique repris par William Blackstone dans ses influents Commentaries on the Laws of England (1765-1769). En Amérique, les rédacteurs de la Constitution étaient tellement séduits par la description que faisait Montesquieu de la nécessité de séparer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire qu’ils en ont fait l’auteur le plus cité lors de la Convention constitutionnelle de 1787 et ont divisé le gouvernement américain en trois branches distinctes, chacune étant habilitée à contrôler les autres. Après l’effondrement du communisme à la fin du XXe siècle et la réévaluation par les Français de la phase de terreur de leur Révolution lors du bicentenaire de 1989, les Européens ont manifesté un regain d’intérêt pour le constitutionnalisme libéral de Montesquieu, dont l’œuvre constitue une contribution intemporelle à notre compréhension de la liberté politique et civile.
Voir aussi Lumières ; Historiographie ; Parlements ; Philosophie politique ; Révolutions, âge de .
BIBLIOGRAPHIE
Sources primaires
Montesquieu, Charles-Louis de Secondat de. Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Traduit par David Lowenthal. New York, 1965. Traduction de Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734).
–. Les lettres persanes. Traduit et édité par George R. Healy. Indianapolis, 1964. Traduction de Lettres persanes (1721).
–. L’esprit des lois. Traduit et édité par Anne M. Cohler, Basia Carolyn Miller, et Harold Samuel Stone. New York, 1989. Traduction de De l’esprit des lois (1748).
Sources secondaires
Aron, Raymond. Principaux courants de la pensée sociologique. Traduit par Richard Howard et Helen Weaver. 2 vol. New York, 1965.
Carrithers, David W., et Patrick Coleman, eds. Montesquieu et l’esprit de la modernité. Oxford, 2002.
Courtney, C. P. Montesquieu et Burke. Oxford, 1963.
Durkheim, Émile. Montesquieu et Rousseau : Précurseurs de la sociologie. Ann Arbor, Mich., 1965.
Ford, Franklin L. Robe et épée : le regroupement de l’aristocratie française après Louis XIV. Cambridge, Mass., 1953.
Krause, Sharon R. Libéralisme avec honneur. Cambridge, Mass., 2002.