Commentaire d’expert
C’est un excellent post sur la gestion de l’INR suprathérapeutique chez les patients prenant un traitement par antagoniste de la vitamine K – et comme vous l’avez décrit, il n’y a pas une approche unique. La warfarine est connue pour être l’un des médicaments les plus difficiles à gérer en raison de son index thérapeutique étroit, de sa réponse variable à la dose, de ses interactions médicamenteuses et diététiques cliniquement significatives, de son action retardée et décalée et de la nécessité d’une surveillance fréquente. Heureusement, la warfarine a un antidote, la vitamine K. Cependant, le choix du moment où administrer cet antidote (et les faiblesses de cet antidote), ainsi que d’autres thérapies, notamment les concentrés de complexe prothrombique (CCP) et le plasma frais congelé, ne sont pas simples et dépendent d’un certain nombre de facteurs. En plus de vos excellents points d’enseignement, j’ai souligné quelques considérations supplémentaires ci-dessous.
Hémorragie potentiellement mortelle
Dans le cadre d’une hémorragie potentiellement mortelle, les lignes directrices dictent notre approche thérapeutique, qui consiste à suspendre la warfarine et à administrer un PCC à 4 facteurs et de la vitamine K par voie intraveineuse (10mg en perfusion lente sur 20-60 minutes)1.
Saignement mineur
La prise en charge du saignement menaçant le pronostic vital est claire et nécessite un traitement agressif. Mais comment prendre en charge le patient qui présente un INR modérément élevé mais qui n’a qu’un saignement mineur ? Dans le cadre d’un saignement mineur (tel qu’une épistaxis intermittente), l’objectif est de rétablir l’INR dans la fourchette cible, sans conduire à une anticoagulation sous-thérapeutique, introduisant ainsi le risque de thrombose. Il existe un consensus général concernant le maintien d’une dose de warfarine dans ces scénarios, mais le choix d’administrer de la vitamine K a été débattu. Le choix de l’approche doit dépendre de la perception du risque de saignement, de l’étendue du saignement, du site du saignement, du niveau de l’INR (et de la tendance de l’INR), des comorbidités (y compris l’indication de l’anticoagulation) et du risque de thromboembolie. Les inconvénients de l’administration de vitamine K méritent d’être mentionnés car ils sont parfois supplantés par notre souci de fournir un traitement actif (incontestablement nécessaire en cas d’hémorragie mettant en jeu le pronostic vital). Un dosage excessif de vitamine K peut entraîner une résistance à la warfarine pendant une à deux semaines, ce qui peut nécessiter un traitement d’appoint important une fois l’anticoagulation reprise. Pour les patients présentant un risque thromboembolique élevé, une mauvaise observance des médicaments, des objectifs d’INR plus élevés ou des comorbidités, cela peut devenir compliqué et n’est certainement pas sans risque.
INR élevé sans saignement
Les lignes directrices 2012 de l’ACCP recommandent l’administration de vitamine K orale (2,5-5mg) aux patients sans saignement actif qui ont un INR>10 (1). D’autres experts et les directives 2008 de l’ACCP utilisent un seuil plus conservateur de 9 (2). Pour les patients dont l’INR se situe entre 4,5 et 10 sans signe d’hémorragie, les directives 2012 de l’ACCP suggèrent de ne pas utiliser systématiquement la vitamine K. Dans ce billet, vous soulevez un point important concernant la gestion des INR de 5 à 9 sans hémorragie. C’est-à-dire qu’on peut administrer ou non de la vitamine K, en fonction du risque de saignement. L’administration de vitamine K à faible dose devrait être plus fortement envisagée chez les patients présentant un risque élevé d’hémorragie (personnes âgées, hémorragie antérieure) et un risque moindre de thromboembolie. Une étude rétrospective portant sur 633 patients présentant un INR élevé >6 a identifié des facteurs de risque de baisse spontanée lente de l’INR suprathérapeutique, notamment un âge plus avancé, un INR index plus élevé, une dose d’entretien de warfarine plus faible, une insuffisance cardiaque décompensée et un cancer actif (3). La connaissance de ces facteurs de risque peut aider à guider la prise de décision lorsqu’on envisage d’administrer ou non de la vitamine K.
Chirurgie/procédure urgente
Les patients méritant une discussion plus approfondie sont ceux qui prennent des antagonistes de la vitamine K et qui doivent subir des chirurgies ou des procédures invasives urgentes (le jour même). Ces patients sont pris en charge de manière similaire à ceux qui présentent une hémorragie mettant en jeu le pronostic vital – c’est-à-dire, vitamine K (10mg IV) et PCC à 4 facteurs. Il est à noter que pour les patients qui peuvent attendre 24 heures, une faible dose de vitamine K (1-2,5 mg PO) est généralement suffisante pour inverser l’INR. Dans ces cas, le PCC à 4 facteurs et la vitamine K intraveineuse peuvent être évités.
Traitements spécifiques
En ce qui concerne les traitements spécifiques pour inverser l’INR suprathérapeutique, quelques points à retenir :
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Vitamine K (phytonadione) : généralement administrée par voie intraveineuse ou orale.
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Pour les hémorragies mettant en jeu le pronostic vital, la vitamine K par voie intraveineuse est préférée en raison de son action plus rapide (qui reste retardée , ~3-8 heures) mais plus rapide que par voie orale (début ~24 heures)
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L’administration sous-cutanée est généralement évitée si possible en raison d’une absorption erratique
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L’administration intramusculaire est généralement évitée en raison du risque d’hématome chez un patient anticoagulé ou suranticoagulé
2. Concentré de complexe prothrombique (CCP) :
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Cpc à 4 facteurs (facteurs II, VII, IX, X) : traitement de première intention privilégié en cas d’hémorragie potentiellement mortelle
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Cpc activé (aPCC) : le facteur VII est surtout présent sous la forme activée, qui est potentiellement plus prothrombotique que le PCC non activé
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Certains produits PCC contiennent de l’héparine et ne doivent PAS être administrés chez un patient ayant des antécédents de thrombocytopénie induite par l’héparine
En bref, les patients présentant une hémorragie potentiellement mortelle et prenant un traitement par antagoniste de la vitamine K nécessitent une évaluation et un traitement urgents par PCC et vitamine K IV. Le traitement par PCC est primordial car l’INR peut être corrigé dans les 30 minutes, contrairement à plusieurs heures après l’administration de vitamine K par voie IV (le début dépend de la synthèse hépatique de nouveaux facteurs de coagulation). Pour les patients présentant un INR suprathérapeutique sans saignement et les patients présentant un saignement minime, une approche plus douce est indiquée, qui implique l’omission de la dose de warfarine +/- de faibles doses de vitamine K par voie orale pour assurer la correction de l’INR et la prévention des saignements, mais pas une anticoagulation sous-thérapeutique. Enfin, il est important d’identifier s’il existe d’autres explications pour l’INR suprathérapeutique en vérifiant si le patient prenait la dose appropriée de warfarine ou s’il a récemment modifié son régime alimentaire ou pris de nouveaux médicaments qui pourraient interagir. Si le traitement doit être repris, ces questions sont particulièrement utiles pour décider comment et quand relancer l’anticoagulation.
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Holbrook A, Schulman S, Witt DM, et al. Evidence-based management of anticoagulant therapy : Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9e éd : Lignes directrices de pratique clinique fondées sur des données probantes de l’American College of Chest Physicians. Chest 2012;141(2 Suppl):e152S.
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Ansell J, Hirsch J, Hylek E, et al. Pharmacologie et gestion des antagonistes de la vitamine K : Lignes directrices de pratique clinique fondées sur des données probantes de l’American College of Chest Physicians (8e édition). Chest 2008;133(6 Suppl):160S.
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Hylek EM, Regan S, Go AS, Hughes RA, Singer DE, Skates SJ. Prédicteurs cliniques d’un retard prolongé dans le retour du rapport normalisé international dans la fourchette thérapeutique après une anticoagulation excessive avec la warfarine. Ann Intern Med. 2001;135(6):393.