Discussion
Ces cas soulignent que l’ostéomalacie secondaire à une carence sévère en vitamine D peut rester non reconnue pendant de nombreuses années, restant à un extrême sous le seuil clinique comme un syndrome de douleur migratoire non spécifique et à l’autre extrême imitant une maladie osseuse métastatique et conduisant à une indication fallacieuse de chimiothérapie.
Des cas similaires sont susceptibles de devenir plus fréquents. Au Royaume-Uni, près de 90% des adultes âgés de 45 ans ont des concentrations sous-optimales de vitamine D (<75 nmol/l) en hiver et au printemps, dont 16% ont une carence sévère en vitamine D (<25 nmol/l).4 Reconnue comme un problème émergent dans la communauté sud-asiatique il y a plus de trois décennies,5 6 7 la carence en vitamine D affecte presque tous les résidents non blancs du Royaume-Uni à un certain degré, et 50% ont une carence sévère en hiver et au printemps.8 Les femmes sont particulièrement exposées à une carence en vitamine D modérée à sévère (<25-40 nmol/l).4 Le risque est multiplié par quatre pour les multipares et par cinq pour les voilées.9 Une mauvaise exposition au soleil, une latitude plus élevée, la saison hivernale, un régime alimentaire inadéquat, un âge plus avancé, l’obésité et le fait d’être confiné à la maison sont également des facteurs de risque importants.3 4 9 10 11 12 13
La prévalence élevée de l’hypovitaminose D nécessite une reconnaissance clinique précoce. La douleur généralisée, qui peut également être une caractéristique des troubles affectifs, peut être une manifestation importante chez les Sud-Asiatiques.14 15 Au Royaume-Uni, la douleur est 3,5 fois plus fréquente chez les Sud-Asiatiques présentant une hypovitaminose D sévère (<25 nmol/l) que chez ceux qui n’en présentent pas.15 Mais le manque de spécificité complique l’interprétation. Les symptômes de l’hypovitaminose D, notamment les douleurs diffuses ou migratoires touchant plusieurs sites (en particulier l’épaule, le bassin, la cage thoracique et le bas du dos) ont également été diagnostiqués à tort comme des maladies physiques, notamment la fibromyalgie, la polymyalgie rhumatismale et la spondylarthrite ankylosante2. Les polyarthralgies et synovites associées des mains et des pieds ont été confondues avec la polyarthrite rhumatoïde et la polymyosite, et la myopathie avec faiblesse proximale a été confondue avec la sclérose latérale amyotrophique, et les pseudofractures ont été interprétées à tort comme une maladie osseuse métastatique2. Bien que des douleurs et des faiblesses musculo-squelettiques persistantes et non spécifiques puissent représenter un ensemble unificateur de caractéristiques,2 3 16 ce chevauchement avec d’autres affections rhumatologiques, ainsi qu’avec la dépression, nécessite un indice de suspicion élevé dans le diagnostic de l’hypovitaminose D.
Les experts ont demandé que le statut adéquat en vitamine D soit traité au niveau de la santé publique17. 18 Des seuils plus élevés de 25-hydroxyvitamine D ont été proposés car les séquelles sanitaires d’une légère carence en hypovitaminose D se sont étendues au-delà du rachitisme et de l’ostéomalacie pour inclure une faible densité minérale osseuse, une altération de la fonction des jambes, des fractures, des admissions en maison de retraite, des cancers colorectaux et de la prostate, des lymphomes non hodgkiniens, des maladies parodontales, du diabète de type 1 et de la sclérose en plaques3. Des preuves émergent du lien épidémiologique entre la carence en vitamine D et le cancer du sein, et aussi que la supplémentation alimentaire pourrait réduire le risque de cancer19 20. Une méta-analyse d’essais contrôlés randomisés a également montré une réduction modeste de la mortalité toutes causes confondues dans les groupes traités par la vitamine D.21
Une concentration sérique optimale a récemment été définie comme ≥75 nmol/l sur la base de plusieurs de ces résultats.22 Ce seuil plus élevé implique nécessairement une révision des apports recommandés actuels en vitamine D. Une augmentation de l’apport quotidien en vitamine D de 200-600 UI 23 à ≥1000 UI pour tous les adultes a été proposée, afin d’atteindre des concentrations sériques ≥75 nmol/l. Cela inclut l’apport de la principale source de vitamine D, la photosynthèse cutanée à partir des rayons ultraviolets B du soleil, qui fournit 90 % des taux circulants totaux chez la plupart des gens24. Atteindre ces objectifs de vitamine D au Royaume-Uni représente un défi considérable – les obstacles incluent une latitude élevée, une couverture nuageuse persistante, des modes de vie occidentaux basés sur les bureaux et des sources alimentaires inadéquates de vitamine D, y compris un manque d’enrichissement des aliments4 et de préparations appropriées en vente libre.4
Les directives sur le dépistage, les apports recommandés et l’exposition au soleil ne se sont pas adaptées aux changements démographiques et épidémiologiques. En particulier, les recommandations britanniques concernant l’exposition au soleil n’ont peut-être pas trouvé l’équilibre nécessaire entre la prévention du cancer de la peau et l’évitement des carences en vitamine D.25 Les avertissements visant à limiter l’exposition directe au soleil, à rechercher l’ombre, à couvrir la peau et à appliquer des écrans solaires avec un facteur de protection de 15 ou plus (le facteur 15 bloque la photosynthèse de la vitamine D de 99%) n’ont pas d’effets uniformes sur la santé en fonction des différentes couleurs de peau, des habitudes vestimentaires ou des groupes d’âge.3 18 22 24 En l’absence de stratégies de prévention efficaces de l’hypovitaminose D sévère, les cliniciens doivent rester vigilants face à sa présentation clinique hétérogène et potentiellement sinistre.