La bioimpression de tissus humains à l’aide d’imprimantes 3D spécialisées promet de transformer la médecine, avec des implications pour les transplantations d’organes, le traitement du cancer et le développement d’antibiotiques.
Luke Massella est l’une des quelque 10 personnes vivantes qui se promènent avec une vessie de remplacement qui a été cultivée à partir de ses propres cellules.
Il est né avec une condition appelée spina bifida, qui, dès la naissance, a laissé un vide dans sa colonne vertébrale.
À 10 ans, il avait survécu à une douzaine d’opérations chirurgicales et battu les attentes initiales des médecins selon lesquelles il ne marcherait jamais. Mais un dysfonctionnement de la vessie a entraîné une défaillance de ses reins.
« J’étais en quelque sorte confronté à la possibilité de devoir faire des dialyses pour le reste de ma vie », dit-il. « Je ne pourrais pas faire du sport, et avoir la vie normale d’un enfant avec mon frère. »
Un chirurgien entreprenant, Anthony Atala de l’hôpital pour enfants de Boston, a prélevé un petit morceau de la vessie de Luke, et pendant deux mois, en a fait pousser une nouvelle en laboratoire.
Puis dans une procédure chirurgicale de 14 heures, il a remplacé la vessie défectueuse par la nouvelle.
« C’était donc un peu comme obtenir une greffe de vessie, mais à partir de mes propres cellules, donc vous n’avez pas à faire face à un rejet », dit Luke.
On parle de rejet lorsque le système immunitaire de l’organisme attaque les cellules transplantées qui proviennent d’un autre organisme. L’utilisation de tissus cultivés à partir des propres cellules d’un patient permet de combattre cet effet.
Luke a ensuite été entraîneur de lutte dans les écoles publiques du Connecticut et maintenant, à 27 ans, il dirige des événements dans le secteur de la bijouterie.
« J’ai à peu près pu vivre une vie normale après », dit-il.
Il a subi 17 opérations chirurgicales avant l’âge de 13 ans, mais n’a pas eu à le faire depuis.
Le travail du Dr Atala implique la bio-impression, en utilisant des machines à jet d’encre 3D modifiées pour produire des tissus biologiques.
Son équipe a développé « huit tissus à base de cellules que nous mettons chez les patients », dit-il, y compris de la peau, des urètres et des cartilages artificiels, tous cultivés en laboratoire.
Ces organes manufacturés passent par des essais cliniques pour être approuvés par la Food and Drug Administration américaine.
« Il faut savoir comment fabriquer ces organes à la main, puis la bio-imprimante est vraiment un outil de mise à l’échelle », explique le Dr Atala, directeur du Wake Forest Institute for Regenerative Medicine en Caroline du Nord.
En d’autres termes, la bio-impression permettrait de fabriquer ces organes de manière abordable, cohérente et précise, estime-t-il.
« Les structures plates comme la peau » sont les plus faciles à imprimer, dit-il. Puis les « structures tubulaires comme les vaisseaux sanguins et les urètres » sont un peu plus complexes, les « organes creux non tubulaires comme les vessies » étant encore plus difficiles.
Mais les plus difficiles sont les « organes solides comme les cœurs, les poumons et les reins », avec « tellement plus de cellules par centimètre ».
Pour ces organes très complexes, les bio-imprimantes offrent une précision qui surpasse la main de l’homme, dit-il.
Potentiel pluripotent
La bioimpression a pris son essor à la suite d’une découverte spectaculaire de Shinya Yamanaka et Sir John Gurdon, qui un prix Nobel pour leurs travaux en 2012.
Les cellules ordinaires adultes peuvent désormais être reprogrammées pour fabriquer des cellules souches – appelées cellules souches pluripotentes induites – qui peuvent être utilisées pour fabriquer n’importe quelle autre cellule du corps.
« Il s’est passé beaucoup de choses au cours des deux dernières années », déclare Steven Morris, directeur général de la start-up de bio-impression Biolife4d.
Monsieur Morris travaille à la bio-impression d’un cœur en utilisant ces cellules pluripotentes au cours de l’année prochaine. Il s’agira dans un premier temps d’une version plus petite de l’organe, explique-t-il, mais cela pourrait à terme aider les entreprises pharmaceutiques à éviter de tester des médicaments d’essai sur des animaux.
Et à terme, la bio-impression d’organes à partir des propres cellules des gens résoudra « l’énorme manque » d’organes à transplanter, dit M. Morris, et supprimera le besoin de médicaments immunosuppresseurs anti-rejet.
Des imprimantes spécialisées pourraient même reproduire des tumeurs cancéreuses, donnant aux médecins la possibilité de tester « quel traitement pourrait fonctionner spécifiquement sur ce patient », dit Erik Gatenholm, directeur général de la start-up suédoise Cellink.
Sa société a reçu un financement de 2.5 millions d’euros (2,9 millions de dollars ; 2,2 millions de livres sterling) de l’Union européenne pour développer ces imprimantes de modélisation des tumeurs.
Les bio-imprimantes nous donnent également un moyen de « déposer rapidement de petites quantités de fluide pour tester si un nouvel antibiotique fonctionnerait pour ce patient spécifique », explique Annette Friskopp, vice-présidente des systèmes d’impression spécialisés de la grande entreprise technologique HP à Palo Alto.
Cela pourrait permettre de s’attaquer au problème croissant et grave de la résistance aux antimicrobiens – l’augmentation des « superbactéries » que les antibiotiques traditionnels ne peuvent pas tuer.
HP est en partenariat avec le Centre américain de contrôle des maladies pour déployer des imprimantes dans quatre laboratoires régionaux aux États-Unis cet automne.
Encre et échafaudages
Les imprimantes de tout type ont besoin d’encre, et les bio-imprimantes ne sont pas différentes. « La « bio-encre » est un gel qui peut être extrudé par une buse d’impression et qui imite la suspension se trouvant entre les cellules, appelée matrice extracellulaire.
Les laboratoires universitaires et les start-up, comme Cellink, ont développé des bio-encres qui peuvent être utilisées avec de nombreux types de cellules, explique Ahu Arslan Yildiz, un biochimiste qui dirige un groupe de recherche à l’Institut de technologie d’Izmir, dans l’ouest de la Turquie.
Et ces bioinks « universels » deviennent de plus en plus « transformables et faciles à manipuler », dit Mme Yildiz, tout en étant non toxiques.
Une autre avancée dans ce domaine en plein développement vient du Japon.
La plupart des bio-impressions utilisent un échafaudage pour maintenir les cellules en place. Et une fois que les cellules sont « amadouées à un certain niveau, elles commencent à s’auto-organiser et à s’assembler », explique Arnold Kriegstein, directeur du centre de médecine des cellules souches et de la régénération à l’université de Californie, à San Francisco.
L’échafaudage peut alors être retiré.
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Mais Koichi Nakayama, à l’université de Saga, dans le sud du Japon, a mis au point un moyen de créer des tissus 3D sans échafaudages.
A la place, il lance de petites sphères sur un fin réseau d’aiguilles, appelé kenzan.
Le Dr Nakayama, médecin et président du département de médecine régénérative et d’ingénierie biomédicale de l’université, est en train de « préparer le premier essai sur l’homme dans notre université » pour implanter des tubes de dialyse « juste fabriqués à partir des cellules de la peau d’un patient ».
La bio-impression fait donc d’énormes progrès et promet de donner à beaucoup d’entre nous un nouveau souffle de vie.
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